À propos

Malvaux

Malvaux c’est le nom donné à la forêt qui s’étend sur le versant Nord/Ouest de la ville de Biel/Bienne jusqu’aux villages de Macolin et Evilard. Cette forêt se loge sur un bout de la chaîne de montagnes du Jura sur un dénivelé de 300 mètres. Nous avons choisi de nommer le centre d’explorations écosomatiques de cette manière pour nous rappeler que c’est en premier lieu la rencontre avec le milieu de la forêt dont il est question.

Pourquoi il semble important d’aller poser des questions à la forêt, d’aller dans cette école de la vie? Comment elle nous déplace? Quels pratiques et récits une forêt nous suggère en tant que partenaire par rapport aux milieux urbains ou aux studios de danse? Qu’est-ce que la forêt nous apprend de nous-mêmes?Quels sont ses cadeaux et ceux de danser dans les cycles saisonniers? Nous voici là où rien n’existe sans l’entrecroisement d’autres, ou chaque centre est un centre parmi d’autres centres, ou plus aucun nom ne tient sans le tissage de ses collaborations, de ses symbioses et ses compétitions. Nous voici parmi les temporalités multiples, parmi les myriades de croissances et de putréfactions.

Notre centre n’a pas de mur. Son toit est le ciel avec la pluie, les brumes, les réflexions du soleil sur les feuillages, les vents, les astres. Son sol est un humus vivant qui s’étend en profondeur, plein d’odeurs, rugueux, doux, piquant. Les arbres et la végétation nous enveloppent. Ici se vit un éloignement de la vue, du balcon, d’avoir vue sur, du regard sur le monde comme sur un tableau ou un décor. On s’éloigne des savoirs de la perspective de la Renaissance. On renoue avec les perspectives plurielles, dépareillées, réinventées, ressenties. On est dedans, parmi, on respire ensemble dans cet orchestre de vivants.es. Parmi les écureuils, les hêtres, les sapins, les moustiques, la roche calcaire, les scarabées, la glaise, les lierres, les blocs erratiques, les pic verts, les biches, les vents, les renards et les chênes. Parmi d’autres activités humaines comme le parcours vita, les chemins de promenade, l’ermitage, les écoles en forêt, le cimetière, les cabanes, la route nationale, l’entreprise forestière. Parmi nos sentiments, nos perceptions, nos imaginaires, nos corps et leurs mouvements, parmi nous en groupes, en collectivités. 

Les écosomatiques

En choisissant de nommer nos pratiques écosomatiques nous souhaitons participer à l’essor d’un champ à la croisée des arts, de l’écologie et de la société. C’est un nom récent pour expliciter une relation au vivant qui en soi n’est pas nouvelle, mais à recréer, comme réactiver des chemins perdus. Il s’agit avant tout de relations, de relationnel, de se comprendre comme imbriqué.es dans les interactions et interdépendances des vivants autres qu’humains et humains. Nous soutenons l’urgence des savoirs incarnés et situés dont nos corps compris dans ces écologies locales deviennent à la fois les réceptacles et les canaux. Nous oeuvrons pour des devenirs terrestres et défendons, sentons, vivons, créons, aimons cette appartenance au système Terre.

Dans Ecosomatiques. Penser l’écologie depuis le geste (2019) Marie bardet, Joanne Clavel et Isabelle Ginot définissent le champ des écosomatiques comme « un champ d’études et de pratiques où se travaillent le rejet de toute séparation entre le corps et ses Autres, et un sentir de soi comme milieu pour d’autres vivants – dont la présence rend possible notre propre vie ». Elles définissent quatre enjeux de ces pratiques : le pouvoir de générer des savoirs à la fois théoriques et expérientiels « qui pensent le corps comme soma- ensemble indivisible de corporéité physique, sensible, mentale, inséparable de ses milieux » ; « s’interdire de séparer les questions environnementales des questions sociales et politiques » ; dé- hiérarchiser les pratiques en accordant autant d’importance aux savoirs du corps, de l’intime, du subjectif qu’aux savoirs majoritaires ; et pour finir, penser le travail de la chorégraphie comme processus d’émancipation et d’actions pratiques sur les manières d’être et de faire monde. Les écosomatiques ont pour projet de « réinscrire la subjectivité corporelle dans la continuité de ses relations au vivants». Cet ensemble de disciplines tout comme les pratiques somatiques nées en Occident à la fin du XIXe siècle (Alexander, Feldenkrais, Eutonie, Rolfing, relaxation, gymnastique holistique, Body-Mind Centering, pédagogie perceptive) remet en cause les dichotomies philosophiques fondatrices de la modernité en Occident telle la division corps-esprit, ou encore la pensée « naturaliste » divisant nature et culture pour reprendre le concept de Philippe Descola. Elle y ajoute une dimension écologique qui fait constat de notre interdépendance avec le système Terre que nous savons depuis les années 1970 en péril. Les écosomatiques observent les relations d’interdépendances du corps, de la pensée, des affects et des émotions et la relation de continuité entre les corps et les environnements, ce que l’état de présence environnementale nous rappelle : notre présence est toujours située. Dans son livre Mouvementements. Ecopolitiques de la danse (2023) Emma Bigé fait référence au verbe grec haptomai qui désigne la voie médiane du toucher et relève qu’en touchant un objet « le sujet de l’activité est en même temps celui à qui l’activité arrive». Elle pose la même question pour l’acte de danser en revisitant La Petite Danse (1967) de Steve Paxton qui consiste à se tenir debout et ne plus bouger afin d’observer les micro mouvements de réajustements qui traversent notre corps en négociation avec la force gravitationnelle. Cette pratique nous place dans le bodying, c’est-à-dire selon la chorégraphe et philosophe Erin Manning « le corps-en-train-de-se-faire».